Le jeune architecte berlinois
Bodo Ebhardt est nommé
par
Guillaume IIpour diriger les travaux.
A la fois
architecte et
spécialiste des
châteaux forts, il s'appuie sur des
principes
rigoureux : tout d'abord, il
conserve et
analyse les décombres et pans de mur. Ensuite, il
consulte et
interprète de
nombreux
textes d'archive. Enfin, il établit des
comparaisons avec
d'autres châteaux forts
européens.
Toutes ces études lui permettent d'identifier les différentes
parties du château, de recréer des décors plausibles et de
compléter la ruine de manière vraisemblable.
Les murs encore en place sont vérifiés bloc par bloc et les
parties fragiles sont remplacées à l'identique. Une patine permet
ensuite d'homogénéiser le tout.
Afin de signaler les parties restaurées, Bodo Ebhardt imagine des
marques de restauration : chaque bloc remplacé
porte une
marque taillée dans la pierre. Chaque
marque correspond à une année de travail et l'ensemble compose un
calendrier de huit années, de 1901 à 1908. De nos jours, ces signes
sont toujours facilement identifiables dans tout le monument.
La polémique autour de la
restauration
Dès l'attribution du chantier à
Bodo
Ebhardt, les critiques fusent.
Otto Piper, auteur de la
Burgenkunde (la première somme
scientifique sur les châteaux forts allemands) et rédacteur du
journal "
Le courrier du Bas-Rhin", se déchaîne.
Guillaume
II l'avait d'abord consulté mais son projet de
conservation de la ruine ne l'avait pas séduit.
Arguant qu'une restauration risque de dénaturer la valeur
historique du site, le candidat évincé condamne systématiquement le
travail de
Bodo
Ebhardt, qu'il accuse d'opportunisme.
Le donjon objet des
polémiques
La
polémique se cristallise surtout autour de la
forme du donjon. Alors que
Bodo
Ebhardt le restitue, avec raison, de forme carrée, les
opposants à la restauration certifient qu'il était rond. Ces
détracteurs, dont d'éminents scientifiques, vont jusqu'à
fabriquer de fausses preuves pour illustrer leurs
dires !
Ces attaques sont évidemment orientées
contre le symbole
politique que devient le
Haut-Koenigsbourg entre les mains de l'empereur.
Ce dernier n'est pas épargné. Suite à l'inauguration, une partie de
la presse régionale et internationale, et des anti-germanistes
notoires comme l'illustrateur
Hansi s'en donnent à
cœur joie. Ils se moquent du défilé historique. La cérémonie se
voulait grandiose, ... elle s'est déroulée sous une pluie
battante!
Le
Kaiserwetter (le beau temps censé accompagner
l'empereur) s'était éclipsé !
La décoration et l'ameublement du
château
Dans l'optique de créer un musée destiné à recevoir du public, le
Hohkönigsburgverein (littéralement "Société du
Haut-Koenigsbourg") est chargé de réunir les moyens nécessaires
pour
décorer et meubler le château. Composée de
professeurs d'université, d'architectes et d'archéologues, cette
société est fondée en 1904.
Jusqu'à la fin de la Première Guerre Mondiale, près de
500 membres s'activent en Alsace, Lorraine, Suisse
et même au Tyrol pour réunir toute une collection
d'objets rhénans (armes, mobilier…) de la fin du Moyen Âge et de la
Renaissance.
En parallèle et dès sa création, la Société assure la
promotion touristique du monument.
Bien que le site soit encore en chantier, l'entrée devient payante
en 1904.
C'est également elle qui organise le défilé historique de
l'inauguration du château et qui demande à Léo
Schnug, artiste alsacien passionné
par le Moyen Âge et spécialiste des uniformes militaires, d'en
dessiner les costumes.
Après l'inauguration, elle prend en charge les décorations
du logis et confie la réalisation des peintures
murales de la salle du Kaiser (salle des
fêtes) et de la salle des trophées à Léo
Schnug.
De l'inauguration à nos jours
Le 13 mai 1908, le château du Haut-Koenigsbourg
est enfin inauguré en grande pompe.
Les travaux de finition et les aménagements intérieurs, dont les
peintures murales réalisées par l'artiste alsacien Léo
Schnug, se poursuivent néanmoins jusqu'à la Première
Guerre Mondiale.
Le conflit stoppe tous les travaux, laissant quelques
décorations inachevées, comme la chambre "dorée" du donjon, laissée
à l'état brut.
Après la Première Guerre Mondiale et la
signature du Traité de Versailles, le château entre dans le domaine
national français. Le monument devient un lieu
touristique mais il reste de bon ton d'en critiquer la
restauration, œuvre de l'ennemi. Il faudra attendre l'apaisement
des relations franco-allemandes pour que l'ouvrage soit
reconsidéré. Après deux guerres mondiales qui l'ont épargné, il est
classé Monument historique dans son intégralité en
1993.
Aujourd'hui, 100 ans après sa restauration, le
château fort du Haut-Koenigsbourg dresse sa fière silhouette
au cœur d'une Europe unifiée.
Devenu propriété du Département du Bas-Rhin en
2007 (Collectivité Européenne d'Alsace depuis le
1er janvier 2021), le Haut-Koenigsbourg offre une vision
remarquable de ce qu'était un château fort à la fin du Moyen Âge et
apporte un témoignage sur l'histoire européenne du début du
20e siècle.